12/06/2025 journal-neo.su  7min #280919

 Sept des militants de la Flottille pour Gaza refusent de rentrer dans leur pays

Pourquoi l'Europe ne prend-elle pas de véritables mesures contre Netanyahou ? Des responsables de l'Ue appelés à rendre des comptes pour complicité de crimes de guerre

 Ricardo Martins,

Malgré les preuves croissantes de crimes de guerre à Gaza et le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale contre Benyamin Nétanyahou, l'Union européenne et la majorité de ses États membres continuent de ne prendre aucune mesure concrète - pas de sanctions, aucune rupture diplomatique, aucun boycott. Pourquoi ?

Les raisons résident dans un enchevêtrement de culpabilité historique, de lâcheté politique, d'intérêts économiques et d'une dangereuse confusion entre critique légitime d'Israël et antisémitisme.

Pourquoi l'UE hésite à agir ?

  1. L'héritage historique de l'Allemagne : la « Staatsräson »
  2. L'Allemagne, sans doute l'alliée la plus proche d'Israël en Europe, considère depuis longtemps la sécurité de l'État israélien comme un pilier de son identité nationale - une Staatsräson. Fondée sur sa responsabilité historique dans la Shoah, cette doctrine continue de façonner la politique étrangère allemande. Bien que le chancelier Friedrich Merz ait récemment exprimé des « doutes » sur les objectifs israéliens à Gaza, Berlin reste paralysé par une culpabilité collective qui entrave toute action politique. Critiquer Israël demeure trop risqué, trop chargé - presque une trahison de la conscience nationale.

La liberté d'expression, le droit de manifester et la liberté académique - jadis sacrés dans toute démocratie libérale - ne semblent plus garantis en Allemagne, et l'UE ne réagit pas. Dans sa croisade zélée contre l'antisémitisme, le gouvernement allemand relègue ces libertés fondamentales au rang de dommages collatéraux.

La couverture médiatique allemande du conflit à Gaza reste largement univoque, évitant la remise en question des actions israéliennes ou la mise en lumière du point de vue palestinien. Tandis que le discours politique évolue - comme en témoignent les prises de position de Merz ou les appels à suspendre les exportations d'armes - la presse, elle, reste à la traîne, bien que, après deux mois de blocus total de Gaza par Israël, quelques fissures commencent à apparaître. Ce décalage révèle une réticence inquiétante du journalisme allemand à affronter des vérités dérangeantes.

  1. Des divisions internes profondes
  2. L'UE est profondément divisée sur la question israélo-palestinienne. D'un côté, des pays comme l'Espagne, l'Irlande ou la Slovénie reconnaissent l'État palestinien, soutiennent les procédures judiciaires internationales contre Israël, et défendent activement l'UNRWA et les résolutions de l'ONU. De l'autre, la Hongrie ou la République tchèque renforcent leur soutien à Netanyahou - la Hongrie a même quitté la CPI. La majorité des pays de l'UE restent toutefois paralysés, tiraillés entre désaccords internes et peur de rompre l'unité.

Récemment, les Pays-Bas ont officiellement demandé un réexamen du respect par Israël de l'article 2 de l'Accord d'association UE-Israël, citant  le blocus de l'aide humanitaire vers Gaza et le nouveau système de distribution proposé, jugés incompatibles avec le droit humanitaire international. En attendant, les  Pays-Bas suspendent leur approbation de la prolongation du plan d'action UE-Israël. L'évaluation visera à déterminer si Israël respecte les droits de l'homme, un élément essentiel de l'accord.

Mais la Commission européenne reste frileuse : peu probable qu'elle suspende l'accord de libre-échange avec Israël. Selon EUobserver, le Service européen pour l'action extérieure est encore en phase d'« examen » - très loin des attentes. Un premier rapport interne de 2024 affirmait même qu'Israël n'avait pas violé l'article 2 de l'accord bilatéral. Des sources indiquent cependant qu'il sera corrigé avant sa publication.

Entre-temps, la rapporteuse spéciale de l'ONU  Francesca Albanese appelle à traduire en justice des responsables de l'UE pour complicité dans des crimes de guerre.

  1. Commerce, armement et intérêts froids
  2. Ne nous leurrons pas : la morale ne guide pas toujours les décisions. L'UE est le premier partenaire commercial d'Israël. Entre 2018 et 2022, les pays européens ont exporté pour 1,76 milliard d'euros d'armes vers Israël - l'Allemagne représentant à elle seule près d'un tiers. Ces liens économiques sont puissants et difficiles à rompre.

Mais à quel prix ? L'Europe a perdu toute autorité morale. Pour le Sud global - et bien au-delà - elle incarne aujourd'hui l'hypocrisie, les doubles standards et les discours creux sur les droits humains.

  1. L'« antisémitisme » comme arme politique
  2. Dans plusieurs capitales européennes - surtout à Berlin - critiquer Israël revient encore trop souvent à être qualifié d'antisémite. Cette équation fausse fait taire les débats. Des ONG et institutions culturelles perdent leurs financements pour avoir soutenu les droits des Palestiniens. Résultat : une liberté d'expression étouffée, un climat politique étroit, où exiger justice pour les Palestiniens vous expose à l'ostracisme.

L'antisémitisme doit être combattu, sans hésitation. Mais se servir du traumatisme de la Shoah pour protéger un État coupable de crimes de guerre, de nettoyage ethnique, d'apartheid et peut-être de génocide, c'est trahir l'histoire et la vérité. Le président brésilien Lula da Silva ne cesse de rappeler que ce que fait Netanyahou au peuple palestinien peut être légitimement comparé à l'Holocauste.

  1. Une absence de courage politique
  2. Même quand des initiatives voient le jour - comme le réexamen du respect par Israël de ses obligations en matière de droits humains - elles n'aboutissent jamais. Suspendre les avantages commerciaux d'Israël nécessite une majorité qualifiée au sein de l'UE. Sans l'Allemagne ni l'Italie, impossible d'y parvenir. L'Italie de Giorgia Meloni reste silencieuse, et l'Allemagne reste figée dans sa culpabilité historique.

Un changement en cours ?
Malgré tout, des signes de basculement émergent. Le Royaume-Uni a suspendu ses négociations commerciales avec Israël - un geste avant tout symbolique, mais révélateur. La France hausse le ton, évoquant des sanctions ciblées. Les Pays-Bas, pourtant traditionnellement pro-israéliens, ont officiellement demandé l'examen de l'accord UE-Israël. L'Espagne a stoppé ses exportations d'armes. Et les dockers français du port de Marseille-Fos ont refusé de charger des armes destinées à Israël, refusant toute complicité dans un génocide. Rien que cela, c'est déjà significatif. Bruxelles s'éveille lentement. Reste à voir si cela débouchera sur des actes.

En conclusion
L'inaction de l'UE face aux crimes de guerre à Gaza s'explique par un cocktail toxique : culpabilité historique, divisions internes, confusion entre critique d'Israël et antisémitisme, intérêts économiques, lâcheté politique et pressions des lobbys israéliens. Ce qui manque trop souvent, c'est la clarté morale, la conscience historique et le courage.

Mais l'impératif moral devient chaque jour plus urgent. Si l'UE veut être prise au sérieux comme puissance défendant les droits humains et le droit international, elle doit avoir le courage de demander des comptes même à ses alliés les plus proches - y compris Israël.

Pour avoir échoué à prendre la moindre mesure concrète contre les crimes de guerre en cours à Gaza - et pour avoir soutenu Israël économiquement, militairement, politiquement et en matière de renseignement - la plupart des États membres et responsables de l'UE ont dilapidé le capital moral de l'Europe. Aujourd'hui, dans le Sud global et bien au-delà, l'UE est perçue comme un symbole d'hypocrisie et de discours vides. Les appels à traduire en justice des responsables de l'UE pour complicité de crimes de guerre révèlent l'ampleur de la désillusion mondiale - et la faillite morale de l'UE.

En somme, l'Europe ne manque pas de levier - l'économie israélienne dépend largement du marché européen. Ce qui fait défaut, c'est la clarté morale, la conscience historique d'être complice d'un événement atroce comparable à la Shoah et la volonté politique d'agir. Mais cela peut changer. Et cela doit changer.

Ricardo Martins - Docteur en sociologie, spécialiste des politiques européennes et internationales ainsi que de la géopolitique

 journal-neo.su